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Photo Une chute

Chapitre 2 : Chuter

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« C’était comme un voile blanc devant mes yeux, j’étais quasiment de l’autre côté. »

« Pendant deux ans j’ai été habité par cette perte, par ce deuil amoureux. Je ne pensais qu’à ça, je ne parlais que de ça, je n’avais goût à rien, je me dépréciais énormément. Ça a vraiment été un épisode extrêmement difficile dans ma vie. »

Ce couple disparu, il l’avait voulu différent de celui de ses parents qui se sont beaucoup affrontés. Les projets qu’il avait imaginés s’écroulent, désormais il est seul. Passé le choc de l’annonce, Fernando coupe toute relation. Il s’effondre physiquement et psychiquement, la dépression s’installe. « J’ai commencé à ne plus m’alimenter, à ne plus pouvoir vraiment parler, à être au ralenti, à énormément dormir… J’étais complètement paumé. »

Prisonnier de cette souffrance, il ne pense qu’à ça. La colère le dispute au déni, il se dit que ce n’est pas possible, que ça va se recoller, que cinq années de relation ne peuvent pas prendre fin de cette manière. Il s’en veut, pour la perte de cette sécurité affective, émotionnelle, sexuelle. Et cette impression de chute, qui revient. « Tu n’as plus cet échange avec l’autre. C’est un retour à un niveau presque antérieur sauf que tu n’es pas préparé à ça. C’est comme une corde. T’es en train de monter une montagne attaché à une corde, on coupe la corde et tu tombes dans le vide. Si je devais faire une métaphore, ce serait celle-là. »

La première semaine après la séparation il est conduit aux urgences psychiatriques. Presque apathique, il ne parle plus, à personne, reste chez lui, cloîtré sur son canapé ou dans son lit. Très inquiète, sa mère décide d’appeler le Samu. Une fois pris en charge, il est écouté par une psychiatre, une petite heure, mais il a honte de lui et préfère rentrer. « Et là quand tu ne veux pas, ils ne peuvent rien pour toi, tu es majeur et vacciné. C’était mon choix de ne pas être suivi, mais j’ai peut-être eu tort. Je le regrette, parce que peut-être que ma récupération aurait été plus rapide et plus solide. »

Une amie médecin lui prescrit un anxiolytique, du « Lexomil », mais ça fonctionne mal, il ne supporte pas bien l’effet. Si le médicament l’apaise et lui permet par moments de se sentir mieux, quand il se dissipe c’est pire qu’avant, les idées noires sont plus fortes, plus intenses. Après trois semaines il s’en détourne.

« J’ai peut-être minimisé la chose de manière inconsciente, je ne voyais pas dans quel état j’étais. Je me savais extrêmement triste, touché dans mon for intérieur, mais je ne voyais pas que j’avais les symptômes cliniques de l’état dépressif. » Las, il préfère affronter seul sa souffrance, ou la subir plutôt. « Une forme de fierté et d’orgueil » reconnaît-il aujourd’hui. Commence une sorte d’introspection, il s’auto-analyse, tente d’échanger avec son entourage, mais rien n'y fait, la dépression s’enracine.

Les journées s’enchaînent, les symptômes dépressifs s’accumulent. Une lourdeur physique s’installe, un poids dans la poitrine, un manque de motivation, une fatigue lancinante. « Ce n’est pas comme quand tu es allé faire des bornes, ou que tu as passé un week-end à faire la fête et que tu tombes comme une masse. C’est vraiment une lassitude, parce que tes idées sont tellement noires, t’es tellement démotivé… Je comparerais ça à un état de stupeur, presque de drogué, opiacé. T’es endormi, t’es dans le vague. » C’est récurrent, surtout au début, ça ne s’arrête pas, c’est chronique. Absent, stressé, presque au point de devenir le spectateur de sa propre vie, le témoin privilégié d'une existence dont il ne serait plus l'acteur. « C’était comme un voile blanc devant mes yeux. J’étais quasiment de l’autre côté. Je n’ai jamais été délirant Dieu merci, mais je vivais plus tout ce qui était intériorisé. Je vivais plus cette souffrance que ma vie de manière externe et sociale, dans ma relation au monde et aux autres. »

"Je vivais plus cette souffrance que ma vie de manière externe et sociale, dans ma relation au monde et aux autres. "

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Les questions, la douleur, sont fortes, obsédantes. Le souvenir de l’amour déchu revient en permanence. « Ça tourne à vide sans arrêt, la perte du sujet, la perte de l’autre. » Avec comme corollaire, le spectre du suicide. Une lame de fond qui surgit quand happé dans le tourbillon il menace de se noyer. « C’est quand tu penses à la personne sans arrêt, ces pensées obsessionnelles qui tournent, qui tournent, quand tu ne trouves pas de solution, que tu commences à te dire que tu n’y arriveras jamais, alors elle arrive, la vague d’idées suicidaires. »

Un jour, plongé dans l’abîme, il casse tout chez lui, se cogne, se blesse, comme pour ressentir encore quelque chose ; l’impression de vide est si forte, l’anxiété et l’angoisse tellement intenses. L’espace d’un instant la douleur physique prend le pas sur la douleur psychique, il souffle, mais ce n’est pas assez. Il imagine alors se jeter par la fenêtre, puis renonce. « Ce qui est fou dans ça, c’est que tu te vois ouvrir la fenêtre et y aller. Quand je dis que c’est une idée, ce n’est pas juste une chose que tu conceptualises. C’est vraiment, que ça te tombe dessus, l’esprit part dans tous les sens et il y a un moment où c’est une fugue, une échappatoire. » L’axiome germe dans son crâne, mais n’y développe pas ses racines. « Je ne pense pas avoir fait de véritables tentatives de suicide. Je n’ai pas commencé à me dire : ‘je vais chercher une corde dans le magasin’, ‘je vais poser les couteaux devant moi’ ou ‘je vais écrire une lettre’, tout cela je ne l’ai pas eu. » Reste l’envie de mourir, mais pas celle de la mettre en œuvre.

Se met en place une sorte de ballet macabre où les idées de suicide en rajoutent à l’anxiété, augmentent les angoisses, la perte d’estime pour soi, la dépréciation, formant un cercle vicieux psychiquement épuisant. Il se déteste, en vient à nier qu’il n’ait jamais fait quelque chose de bon dans sa vie. « C’est te dire que tu ne mérites rien à part la mort, que les autres te détestent aussi. Tu ne comprends plus pourquoi quelqu'un peut t'apprécier. »

Son entourage le soutient, ce n’est pas évident, il le sait. Trouver les mots pour le reconforter serait illusoire, ils n'existent pas. Ça lui évoque le mythe de Sisyphe, ce héros grec condamné à pousser un rocher au sommet d’une montagne, alors que celui-ci roule inéluctablement vers la vallée. Au départ ils n’osaient pas, mais maintenant ses amis lui disent de l’oublier, il ne peut pas, sa détresse l’y ramène constamment, elle est immense.

Mais sa vie se poursuit, pas le choix. Fernando s’occupe, tente parfois de s’évader dans des films, mais ne les regarde pas vraiment. Vite rattrapé par ses souvenirs, il rumine des questions, des idées noires, ne parvient pas à s'extraire de sa souffrance. Pourtant il essaye de s’arracher à cette espèce de léthargie grâce à des appuis, des béquilles, son travail de pion qu’il a toujours, mais aussi une association de Hip-hop, qui le poussent à sortir de son trou. Le temps passe, des instants « plus lumineux » émergent parfois, puis s’effacent. « La dépression c’est par vague, c’est par étape, moi je l’ai vécue comme ça. »

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Les mois se suivent, se ressemblent, dans l’œil du cyclone, cette spirale infernale de souffrance et de douleur. La dépression est là, accompagne chaque fait et geste. Parfois Fernando sort dans les bars avec ses potes. Il consomme de l’alcool devenu son anxiolytique, mais il ne s’amuse pas, il ne parle plus, ou alors que de ça, l’ivresse aidant. Puis il rentre, tente de dormir, mais c’est difficile. L’excès de sommeil où il se réfugiait au début a laissé place aux insomnies. Les idées noires tournent sans cesse dans sa tête, forment un typhon qui manque de l'absorber totalement. Impossible de s'apaiser, de trouver le repos. Toujours cette culpabilité : « il faut que j’arrête d’y penser », mais non. 

Résilience

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Chapitre 2

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Chapitre 3

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Épilogue

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