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Chapitre 3 : Se relever

« La maison qui explose c’est d’un coup, comme ça, elle s’effondre sur les fondations. Alors qu’une maison que tu construis, c’est pierre par pierre, ça prend du temps. »

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« Il y a eu des étapes aussi bien dans l’apaisement que dans la prise de conscience, dans le retour à une confiance en moi minimum pour faire les choses, mais à chaque jour suffit sa peine. Et sur la route on fait un pas devant l’autre, tous les jours. »

Ça fait pas loin de deux ans maintenant depuis la séparation. Deux années éreintantes passées sur la galère de sa souffrance, à actionner la rame seul, pour essayer d'avancer. Pourtant quelque chose semble changer, il sent comme une légère brise, qui souffle à nouveau. Elle est faible, insuffisante, mais l'allure est portante, elle le soulage. Il y a plusieurs mois, alors qu’il menaçait de sombrer, il s’est rendu en Turquie chez un ami, un voyage salvateur. Durant ces quelques jours il s’éprend de la magie des lieux ; Istanbul et ses monuments, son histoire, ses habitants, l’église Sainte-Sophie, la Mosquée bleue, le grand bazar. Quand il rentre en France, le songe s'efface, vite remplacé par les tourments, les obsessions. Seulement il n’est pas revenu bredouille, même s’il aura besoin de temps pour le comprendre. « En terme de maturité, d’ouverture à l’autre, d’auto-analyse, sur les actes que je pose, sur ma manière d’entrer en relation, je me rends compte que j’y ai gagné. »

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Peu à peu il s’aperçoit qu’il arrive à mieux gérer sa détresse au quotidien, à la cloisonner, la mettre dans un coin, pour qu’elle soit moins envahissante, plus réservée. Il prend du recul sur lui-même, tente de changer de perspective. « Ça te montre qu’il y a autre chose dans la vie, qu’il y a des choses plus grandes que toi, que ta petite histoire, ta banalité, ça te remet à ta place et ça remet aussi la souffrance à sa place. » Suivront d’autres excursions, « le meilleur des plâtres », en Angleterre et au Maroc, le pays de son père. Il en tire des éléments nouveaux sur lui et sa relation au monde, découvre de nouvelles cultures, d'autres façons de concevoir la vie ; il apprend, s'enrichit. « Je pense que c’est essentiel dans la vie d’un être humain le voyage, parce que tu t’évades de manière extérieure, mais aussi intérieure. »

Une petite braise, une lueur scintille quelque part entre la tempête et la pluie battante. Elle se réchauffe, petit à petit, perce la brume, par moment. Après des mois passés à se dévaloriser, un nouveau cap se profile, une résolution émerge. Ce n'est pas un déclic, mais l'affleurement d'une réflexion de fond, l'éveil de plaisirs perdus, un retour à ses « fondamentaux ». « Je me suis dit : ‘tu as cru que tout ce que tu valais c’était de la merde, que tu étais spolié, que tout ce que tu connaissais, que tu appréciais, c’étaient des choses sans valeur. Mais arrête avec cette idée-là et utilise tes points forts.‘ » Alors il s’investit de nouveau, dans ce qu’il aimait, ce qui pourrait le maintenir hors de l’eau. La musique, les bouquins, l’écriture, la vie associative, toutes ces choses qui faisaient partie de lui, mais qu’il peine à retrouver, à apprécier, noyé dans sa tristesse. « Des solutions positives qui vont te faire du bien, tu en trouves. Moi c’est ce que j’ai appelé un retour sur mes points fort. »

La poignée qu’il ne lâche pas, à laquelle il s'accroche depuis le départ, c’est son association fondée avant la dépression, au milieu des années 2000. Avec 6 amis ils font venir en Lorraine des rappeurs de la scène Hip-hop underground. Quelques artistes européens, mais des américains surtout. Beaucoup de MC de Californie, et de la côte Est aussi. Pas loin de 50 concerts seront organisés en 6 ans d’existence. « On a réussi à créer des liens avec eux : on les suivait en concert, on passait des week-ends ensemble, on faisait la fête… » Un jour Fernando rencontre Oddisee en soirée, il a fait le déplacement depuis Washington sur leur invitation. Après un concert, et quelques verres, celui qui percera quelques années plus tard finit par dormir tranquillement sur le canapé d’un de ses potes, normal. « J’ai rencontré de nouvelles personnes, j’ai fait de nouvelles activités. Des choses qui te valorisent, parce que tu vas vers l’autre, tu trouves un autre moteur dans ta vie de tous les jours que ta souffrance. » Cette béquille, il la garde près de lui, se repose dessus, s'y appuie, même dans les pires moments, elle l’aidera par la suite à avancer. « Mon amour de la musique, on ne pouvait pas me l’enlever. »

L’association prend fin en 2011 alors qu’il essaye encore de se relever. Deux ans plus tard il en intègre une autre, une maison d’édition indépendante qui sort une revue semestrielle. Une rampe d’accès vers l’apaisement où il se consacre à un autre aspect de sa vie, l’écriture. Cette passion, alimentée par un prof au collège, il l’avait mise entre parenthèses durant sa relation et le début de sa dépression. Il décide d'y revenir et à une forme bien particulière. « J'ai toujours adoré la poésie et entre la fin du lycée et le début de la fac, j'ai commencé à me surprendre à en écrire. » Il reprend la plume, tous les jours, plusieurs heures.

Sa douleur il l’expie, elle imprègne le papier, il la traduit à l’écrit, comme pour s’en débarrasser. « On est un peu dans la magie du langage, là où les mots s'entrechoquent. On n'est pas là pour théoriser ou pour comprendre, mais on est plus là dans un grand jeu. On laisse les mots venir à nous et à un moment on sent que c'est plus ou moins en cohérence avec ce qu'on a ressenti. » « Un tableau », « une série d'images », une description symbolique complètement subjective du monde transcrite dans un processus créatif, « le plus intime » selon lui.

Le temps passe et efface, peu à peu la douleur ; le deuil suit sa trace, avec lenteur. Il conduit la réflexion et la prise de conscience, comme les nouvelles solutions, dont il permet l'existence. « C’est comme une courbe sinusoïdale qui remonte en dents de scie tout doucement. » Avant ses tourments revenaient en permanence. Aujourd'hui il parvient à les écarter, ne serait-ce que quelque temps, « une affaire de fréquence. » Il y a des épisodes où il se sent mieux, parce qu’il construit à nouveau, puis d’autres où il rechute, mais c’est moins courant, moins intense. Il se sent mieux armé, arrive à faire face.

 

« La maison qui explose c’est d’un coup, comme ça, elle s’effondre sur les fondations. Alors qu’une maison que tu bâtis, c’est pierre par pierre, ça prend du temps. » Il est facile de détruire, mais construire est autrement plus difficile. Il a conceptualisé l'idée, s’efforce de la mettre en œuvre, ça l'aide à se calmer, à se sauver. Il travaille sur lui, reprend du poil de la bête, même si c’est long, trop lent, il entrevoit désormais la marche qui l’attend. « Il faut du temps pour comprendre ça. Cette dynamique c’est assez dur à briser parce que la souffrance psychique que tu as, elle est tellement immense que toi tu es dans la rumination et ça ne te fait pas avancer. »

Le choc remonte à plusieurs années, il s’en rend compte maintenant et peut regarder en arrière sans sombrer, « l’expérience de la maturité ». Il a effacé l’idée qu’elle reviendrait. Ils ont changé, tous les deux, et ouvert une nouvelle phase de leur existence. Le souvenir de l'amour perdu, sans cesse réanimé par la douleur s'estompe. Il s'inscrit dans un temps qui n'appartient plus au présent. « Je ne la connais plus, elle ne me connaît plus, elle est dans un autre cycle de sa vie. La personne avec qui j’ai partagé ma vie et que j’ai aimée, elle n’existe plus vraiment. » À travers ses « petites solutions », ses « petites prises de conscience » il se sort progressivement de la souffrance, s'apaise. La fréquence de la douleur étant moins forte, les symptômes physiques de la dépression et les idées suicidaires s'atténuent puis s'effacent doucement, comme une onde qui disparait à la surface de l'eau. Il se surprend parfois à n’y repenser qu’une fois par semaine. « Et puis à un moment tu te rends compte que tu n’y as pas pensé depuis plusieurs mois. » Mais il n’a pas encore fini de régler ses comptes avec la dépression. Certaines idées noires resurgissent parfois, la maladie a laissé une trace au plus profond de son être, le combat continue. « Tout ce qui est de l’ordre de la dépréciation, de la dévalorisation, de la mauvaise estime de soi, tu ne t’en débarrasses pas facilement, ça reste bien accroché. »

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Un voyage salvateur

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Résilience

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Intro

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Chapitre 1

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Chapitre 2

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Chapitre 3

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Épilogue

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Je ne la connais plus, elle ne me connaît plus, elle est dans un autre cycle de sa vie "

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